Ça y est, il est dimanche soir. Déjà, je dois me rendre à la gare Encore un week-end de grillé. Entre les afters télés pathétiques chez une bande de potes alcolos et les soirées en boîte où les mecs défoncés vous font passer pour des culs serrés à votre propre regard, c'est encore deux jours de ma fin de jeunesse qui viennent de s'envoler. Ainsi, l'hiver avance et je m'enfonce dans la dépression sexuelle Au début d'une période de célibat, on se dit que l'on en sera vite sorti et que c'est toute une orgie de plaisirs nouveaux qui rapidement entrera dans notre vie, c'est sans compter sur le froid polaire qui s'installe, dans la rue, dans le cur des hommes L'attente semble infinie sur ce quai glacé. Ma vue est brouillée par l'épais nuage de vapeur que j'exhale. Les gens passent comme des ombres au loin dans la nuit sans fin. Deux épaisses colonnes de lumières finissent par jaillir du néant, le train fait son entrée. De l'extérieur, je ne perçois qu'une lumière jaune filtrant avec peine à travers la buée. Les portes s'ouvrent mais personne ne descend. La plupart des gens ignorent jusqu'à l'existence de ce village solitaire. Je monte les marches rouillées pour pénétrer dans le wagon fumeur aux allures de train nucléaire russe et déjà les effluves me coupent la respiration. J'inspire à fond, je ressens le besoin de détruire ce qui reste de sain dans mon corps, de m'imprégner de la mélancolie environnante comme une preuve d'amour et de compassion avec moi-même. Une place libre, je m'installe. L'épaisse chaleur qui m'entoure maintenant me brûle les yeux, la sécheresse et la fumée me prennent la gorge. J'observe les punks, les toxicomanes et les prostituées semblent incrustés dans ce paysage intemporel, quelques personnes âgées fumant timidement leur pipe, de jeunes âmes perdues au regard fixé dans le vide. Il y a enfin la frêle créature en face, comment ne pas la remarquer ? Le plus beau mec du monde se trouve là juste devant moi. Certes je suis le seul à le savoir, à voir à travers ce qui le cache. Recroquevillé sur son siège, emmitouflé sous le capuchon de son pull gris, fumant lentement un joint odorant, l'authenticité de son regard dépressif m'illumine. Nos regards se croisent, il me sourit. Timidement, mais avec une candeur et une franchise rare. Comme dans un rêve, un courant presque imperceptible s'installe entre nous. Je crois percevoir au fond de son regard les souvenirs d'une époque heureuse qui n'a jamais existé, la même nostalgie, le même déracinement, la même douleur. Loin de toutes ces princes paranoïaques qui craignent le moindre contact, mon frère d'infortune semble m'accorder une confiance infinie. Il m'invite à fumer, à m'approcher de lui. De là je peux mieux voir son joli visage, ses longs cheveux bruns. Presque naturellement ma main lui caresse la joue. Peut-être vais-je le regretter, mais non, je lis dans ce regard que, comme moi, il a pris conscience de la seule vérité valable : nous n'avons que de l'amour à nous transmettre. Déjà ma main glisse dans ses cheveux, mes lèvres frôlent les siennes, je m'immerge entièrement dans ses grands yeux noirs. Il frissonne. Je me lève alors et lui fais signe. Inutile, il a déjà compris. Traversant le wagon peuplé de visages flous, je le vois qui me suit à une distance, nous soustrayant à tout soupçon. Je passe une à une les portes de l'enfer pour y descendre plus profondément et goûter enfin la lie de l'humanité, l'arrière du train. Le dernier wagon servant à l'entrepôt des vélos et autres objets encombrants est complètement désert, exempt de lumière et de chauffage. L'endroit parfait. Dans cette obscurité froide je cherche mon chemin, le sol est mou et je crois y sentir quelques sacs de jutes et vieilles couvertures militaires à l'abandon. La porte s'ouvre à nouveau. Dans une lumière aveuglante, je distingue une jeune et frêle silhouette puis, plus rien, le néant total. Le temps et l'espace ne sont plus, seule une chaleur au loin témoigne encore de l'existence. Il m'attire, je flotte vers lui jusqu'à le toucher du bout des doigts. Aussitôt, il m'entoure entièrement. Je saisis cette main tendue vers moi, nos doigts s'entrelacent et déjà nos deux êtres en suspension ne font qu'un. Nous trébuchons, tourbillonnons jusqu'à n'être entouré que de couvertures. Les remparts tombent peu à peu et nos essences entrent en fusion, par le contact de ses lèvres sur les miennes, de sa langue autour de la mienne, de
LUNDI 18 SEPTEMBRE 2006
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