Mes parents, deux artistes fort connus de la scène musicale, avaient acquis le domaine de La Fraisière, il y avait de cela sept ans. Leur intention était de s'y retirer pour terminer leur existence agitée dans une farandole interminable de réceptions de tous genres. Il leur avait donc fallu engager un personnel compétent afin d'entretenir le lieu de leurs extravagances mondaines. Mademoiselle Guillemine, une forte alsacienne au teint rosé et à la beauté remarquable, leur fut chaudement référée à titre de cuisinière. Sa réputation la précédait dans la haute société provinciale mais peu de gens pouvait s'offrir ses services. Mes parents sautèrent donc sur cette occasion pour impressionner la galerie et engagèrent à prix fort l'excellente mademoiselle Guillemine. Il faut admettre que Guillemine cuisinait admirablement et que son sens de la coordination lui permettait d'assurer le total fonctionnement de notre demeure. La valetaille était à sa botte, comme le clamait si bien mon grand-père qui la vénérait avec des lueurs lubriques au fond des yeux. Car il faut encore admettre que malgré son poids considérable. Guillemine resplendissait de fraîcheur et de splendeur, exaltait la joie et la sensualité. Elle devait faire cent dix kilos, au moins, mais les hommes la mataient comme des gamins avides. L'année dernière, mes parents avaient engagé une société horticole afin de réaménager leur jardin. Quatre longues semaines de travaux s'amorcèrent sous les directives de Guillemine, laquelle fut un véritable amour pour les trois jeunes ouvriers ivoiriens chargés d'exécuter les plans. Ils bossaient le jour comme des diables menacés d'un sermon papal et logeaient la nuit dans un pavillon de repos attenant aux écuries. Alors Guillemine leur préparait de copieux repas qu'elle leur portait elle-même et qu'elle arrosait de vins délicats. Inutile d'insister sur le dévouement aveugle des trois jeunes hommes pour la délicieuse cuisinière. Il n'y avait plus de limites à leur reconnaissance. Un jour que je me prélassais dans un hamac non loin du lieu où les garçons bêchaient la terre, j'entendis leur conversation. Ils tenaient candidement le pari du premier qui allait étendre la bonne Guillemine dans son pieu. Je faillis rire de cette innocente ambition virile. Je savais bien moi, lequel de ces trois messieurs Guillemine avait choisi. Et je savais aussi que la cuisinière avait déjà arrêté son plan concernant l'endroit et le moment où l'incident se produirait. Comme j'étais joliment curieuse, je me jurai ce jour là d'épier la chose jusqu'à son dénouement, histoire de vérifier mes prédictions aussi bien que de satisfaire mon côté voyeur. Je restai ainsi à l'affût pendant au moins cinq jours et cinq nuits. Je me sentais comme un flic sur le point d'alpaguer des malfrats. Ça me plaisait cette surveillance, ça me détournait de l'ennui et surtout ça m'excitait. J'ignore pourquoi mais le désir de voir Guillemine s'envoyer en l'air prenait désormais toute la place dans mes pensées. Il fallut l'aube du sixième jour pour que mon guet m'apporte enfin le résultat escompté. Guillemine portait le petit déjeuner de ses protégés autour de six heures et je la vis revenir du pavillon accompagné de celui que je croyais être l'élu. C'était incontestablement le moins séduisant des trois. Le mystère de ce choix ne me fut jamais expliqué mais j'en conclus que la cuisinière avait un faible pour ceux que la nature châtiait. Il s'appelait Léopold. Il était plus petit que Guillemine d'au moins cinq centimètres et son visage était vilainement amoché par les stigmates d'une acné virulente. Pourtant une sérénité incroyable émanait de son sourire et un regard coquin lui donnait une prestance de loubard. Guillemine le dirigea dans un petit réduit jouxtant la cuisine d'où il sortit à grand peine un énorme sac de pommes de terre. Une fois qu'il eût déposé son fardeau à la cuisine, il retourna dans le réduit et un bruit sec de verrou se fit entendre. « Nom de dieu ! Ça y est ! » J'étais folle de joie. Je grimpai sur une échelle derrière le mur de ce garde-manger extérieur et je m'installai sur le toit. Je pus regarder à ma guise à travers une trappe d'aération. J'étais récompensée ! Guillemine tenait en respect le jeune homme avec un sourire dévastateur qui creusait dans ses joues d'admirables fossettes. Ses yeux, d'un bleu très clair, resplendissaient de malice et de gourmandise. Sa bouche, rose et lippue, s'ouvrait sur de jolies petites dents bien rangées et d'une blancheur presque éclatante. Léopold, tassé dans un angle, balbutiait des interrogations que semblait ne pas entendre Guillemine tant elle s'occupait des détails de son festin. Son regard
MARDI 28 SEPTEMBRE 2004
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